Une nouveauté en calcul littéral

Quelle semaine ! C’est reparti après la période janvier-mars qui a été très dense, notamment avec la semaine des mathématiques et le grand jeu organisé pour la visite de CM2. J’aurais aimé rédiger un article sur le bilan de cet escape game incroyable, mais je n’ai pas eu le temps. En résumé, c’était un très bon moment, dans une période difficile pour l’établissement. Une demi-journée de synergie exceptionelle entre les adultes et les élèves. Et franchement, les dizaines d’heures de travail passées valaient le coup !

Mais ça, c’était il y a plus de deux mois. Maintenant, c’est la première semaine après les vacances, et ça commence fort :

  • brevet blanc pour les 3e jeudi (12 mai) et hier (13 mai), avec à la clé pour les profs des copies à corriger.
  • on attaque une nouvelle séquence avec les 5e, sur les nombres entiers. Avec une façon de faire de la différenciation que je n’avais jamais testée jusqu’à maintenant. Ça s’est très bien passé pour le moment, j’ai hâte de voir comment ça va continuer et je ferai peut-être un article spécifique si j’ai le temps.
  • j’ai été confronté à la gestion d’un incident étrange avec des élèves de 5e dont je suis le professeur principal. Certaines et certains d’entre eux ont apporté des œufs afin, disent-ils, de faire un gâteau pour une élève dont c’est l’anniversaire. Sauf qu’au hasard d’une situation de classe en cours de français, cette histoire d’œufs est venue à nos oreilles et nous n’avons pas encore tout démêlés. Nous sommes très attentifs et attentives à cela car il y a eu plusieurs histoires d’enfarinage des jours d’anniversaire… À suivre.
  • un magasin coopératif dont je suis membre, Coquelicoop, prépare la clôture de ses comptes et s’engage dans une profonde réflexion stratégique pour le 2e semestre 2022 et l’année 2023. Étant très investi dans le fonctionnement de la coopérative, cela m’occupe pas mal.
  • enfin, et c’est l’objet de cet article, on a attaqué la distributivité double avec les classes de 3e. Mais pas comme d’habitude.

De quoi parle-t-on ?

La distributivité double est le nom que l’on donne usuellement à la propriété suivante : « Soient a, b, c, d quatre nombres. Alors, (a+b)(c+d)=ac+ad+bc+bd). »

D’habitude, j’introduis cette propriété de deux façons différentes.

D’abord, comme une généralisation de la propriété de distributivité simple, qui s’énonce comme suit : « Soient k, a et b trois nombres. Alors, k(a+b)=ka+kb. » Puis on développe et on pose k=(c+d). Mais cela reste assez difficile à comprendre pour les élèves.

Une autre façon, plus géométrique, consiste à considérer un rectangle coupé en deux dans le sens de la longueur et en deux dans le sens de la largeur. On obtient ainsi quatre rectangles, de longueurs respectives a et b et de largeurs c et d. Et l’aire du grand rectangle est (a+b)(c+d) (longueur×largeur), mais aussi ac+ad+bc+bd (somme des aires des quatre rectangles).

Distributivité double avec un rectangle

Vous trouvez ça lourd et verbeux ? Moi aussi. J’ai donc essayé de trouver autre chose

Une idée originale (enfin, je crois)

En feuilletant un manuel, je trouve cet exercice :

Exercice 43 page 80, Mission Indigo, 3e, 2016

Je le trouve intéressant, et je me dis que cela pourrait même être exploité en introduction, en se basant sur… la multiplication posée des nombres entiers ! Mais je ne trouve aucune source pour ça, donc c’est parti ! Je fais ce que (presque) tous les profs adorent dans le métier : j’invente.

Je vous raconte comment ça se passe dans ma tête.

Papier de brouillon !

Brouillon – Étape 1

Je reprends l’énoncé de l’exercice, et je pose (3x+4)×(2x-5).

OK c’est pas mal, mais pour les élèves il y a un truc qui cloche. Déjà, il faudrait davantage d’étapes de calcul. Mais à ce stade ce n’est pas grave : c’est le brouillon du prof, on pourra ajouter les étapes plus tard.

Plus problématique : les termes constants, les termes en x et les termes en ne sont pas alignés les uns sous les autres. Il faudrait appliquer un décalage vers la gauche pour la deuxième ligne. Qu’à cela ne tienne !

Brouillon — Étape 2

C’est un peu mieux. Mais comment justifier aux élèves ce décalage ? Dire qu’on décale parce que c’est « pratique » ? Bof, j’aimerais mieux une justification mathématique.

Pourquoi effectue-t-on ce décalage, en réalité ? Pour des raisons d’homogénéité : on additionne ensemble les mêmes puissantes de x. Et finalement, c’est comme pour les multiplications de nombres entiers à deux chiffres : on « ajoute un zéro » (comme disent les élèves), et en réalité on décale d’un rang vers la gauche, pour aligner unités avec unités, dizaines avec dizaines, centaines avec centaines.

Voilà l’analogie qu’il me faut : x joue en fait le rôle de la puissance de 10 dans la décomposition décimale. Ça y est, je sais comment faire !

L’idée qui change tout ?

Si l’on pose 34×15, c’est comme ça :

Brouillon — Étape 3

(C’est un brouillon, il y a des ratures : quoi de plus normal ? 🙂 )

Et si on veut poser, plus étrange, (30+4)×(20-5) ?

Brouillon — Étape 5

C’est quand même très élégant. Et cela s’adapte très bien à (3x+4)×(2x-5). Mais en fait, il faudrait même faire apparaître le 2x×0 explicitement :

Brouillon — Étape 6

Vers l’activité finale

Mine de rien, j’ai réfléchi une bonne demi-heure. Et les figures que vous voyez sont propres et bien ordonnées, rien à voir avec le vrai brouillon. J’aurais bien aimé le montrer, mais impossible de le retrouver, je l’ai probablement jeté… C’est inévitable : les brouillons sont des œuvres éphémères. 😛

Document donné aux élèves

En fin de compte, je n’aime pas trop l’exemple avec l’expression (3x+4)×(2x-5). Je change et je remplace par (2x+3)(4x-2). Je distribue donc cet énoncé :

Énoncé distribué aux élèves

Leur première réaction, face à la question 1)a) a été : « Bah c’est logique, il faut faire quoi ? » Et ils ont eu raison, une formulation du type « Commençons par observer que… », sans poser la question eût été préférable. J’en prends note pour les prochaines fois.

Ensuite, au 1)b), c’était moins évident. Pas surprenant, car on ne pose jamais (20+3)×(40-2) de cette façon. J’avais anticipé le blocage, donc j’avais préparé un exemple avec des valeurs différentes :

Exemple projeté au tableau

J’avais totalement écrit l’exemple en avance et je l’ai projeté au tableau, car je souhaitais que les élèves voient immédiatement le résultat final, sans me voir effectuer les calculs en direct. Car cela aurait été un peu fastidieux avec les couleurs. Et aussi pour limiter au maximum le temps d’écoute passive. Je préfère une lecture et une réflexion actives s’appuyant sur un document abouti (mais rudimentaire, certes).

Quelques remarques

Vous pouvez observer que par rapport aux brouillons que j’ai montrés plus haut, il y a beaucoup de changements ! Et en premier lieu évidemment, les couleurs. Les étapes du calcul, également, sont plus détaillées.

On a bien mis 50×0 pour la multiplication et ici, le 5x joue le rôle des dizaines. Comme si x pouvait être substitué par 10. D’ailleurs, remarquez que que dans la colonne des centaines, on voit apparaître . C’est cohérent.

Pendant la séance

L’exemple ci-dessous était projeté au tableau et j’ai demandé aux élèves de l’examiner attentivement et de s’en inspirer pour (2x+3)(4x-2).

Très rapidement apparaît la question : « Pourquoi vous avez mis 5x×0 ? ». Question fort légitime, et c’est là que l’analogie opère ! On s’inspire très fortement de la multiplication des nombres entiers.

Bien sûr, les élèves m’ont fait remarquer que poser (40-3)×(50+2) est beaucoup plus long que 37×52, ce qui est vrai. À cette remarque, j’ai simplement répondu qu’ils avaient raison, mais que cela nous serait utile à titre d’étape intermédiaire pour s’inspirer du modèle en calcul littéral.

C’est un raisonnement par analogie, très utile en mathématiques.

Je laisse aux élèves 10 bonnes minutes pour analyser l’exemple et je circule dans les rangs pour débloquer les erreurs de signe, les incompréhensions sur les alignements des nombres ou des lettres, etc.

Puis, après 10 minutes supplémentaires, plus de 80% des élèves ont réussi à répondre à la question b). C’est vraiment bien car rarement sur ce chapitre, les élèves n’ont autant d’aisance sur la distributivité double.

Et après ?

La suite de la séquence est consacrée au cours, beaucoup plus classique, et à des exercices, classiques également.

Il y a quand même beaucoup de choses à tirer de cette activité, sur le plan mathématique.

  • Déjà, il est intéressant de remarquer qu’en fait, chaque ligne du calcul posé est en fait une application de la distributivité simple ! Ainsi, (4x-3)×2 = 2×4x + 2×(-3) et (4x-3)×5x = 20x²-15x.
  • On travaille énormément de compétences différentes ! Représenter, évidemment puisque nous exprimons le même calcul de plein de façons différentes. Mais aussi calculer et surtout raisonner.
  • Pourtant, il n’y a aucune démonstration ici, uniquement des jolis raisonnements élémentaires et des analogies bien pesées pour donner l’intuition (clin d’œil au génial livre Mathematica, une aventure au cœur de nous-mêmes de David Bassis, qui réhabilite l’intuition en mathématiques) des choses.

Au bilan, je suis vraiment très content de cette activité ! C’est bien la première fois que des élèves me disent que « la distributivité, c’est facile en fait ! ». Et d’ailleurs, beaucoup mon demandé s’ils « ont le droit » de poser de cette façon « en contrôle ou au brevet ».

Et ma foi, pourquoi pas ? C’est joli, propre et riche sur le plan mathématique. Mais c’est quand même assez atypique, donc attention à ne pas s’enfermer dans des méthodes trop originales. C’est fort dommage, mais les programmes laissent peu de place à la liberté et à la construction des intuitions.

Il reste à travailler les automatismes pour intérioriser la méthode et gagner en souplesse sur la technique. Mais en fait, cette façon d’aborder le sujet, intimidante à première vue, me paraît limpide et a même éclairé ma propre compréhension de certains enjeux didactiques en calcul littéral.

L’année prochaine, je ferai peut-être la distributivité simple aussi de cette façon. Je suis réellement convaincu que c’est une bonne façon de faire.

Les grilles de compétences : je ne m’en sors pas

Le mois d’août est bien entamé. Comme chaque année, je me remets peu à peu au travail. Objectif : préparer la rentrée et mes premières séquences de cours pour l’année scolaire qui arrive. Je n’ai pas travaillé du tout pendant juillet et je me sens d’attaque pour reprendre.

Ma question du jour porte sur les modalités d’évaluation. Il y a un grand débat au sein de l’Éducation nationale. Il porte sur l’articulation entre évaluation chiffrée (avec une échelle de notes, généralement de 0 à 20, format habituel depuis quelques décennies) et évaluation par compétences.

Fonctionnement en 2020-2021

Pendant mes deux premières années dans mon établissement, j’ai évalué de façon entièrement chiffrée. Les compétences travaillées et évaluées étaient évidemment explicitées, et à chaque devoir, évaluation et contrôle, l’élève repartait avec une note. Classique, rien de très innovant.

L’évaluation par compétences…

Les attentes institutionnelles et de nombreuses discussions entre collègues m’ont incité à basculer vers une évaluation par compétences. Concrètement, chaque item évalué (il peut y en avoir beaucoup) donne lieu à un niveau de maîtrise. À la fin, l’élève récupère sa copie avec un tableau listant les compétences évaluées, chacune assortie de son niveau de maîtrise. Il n’y a pas de note sur la copie, puisque chaque compétence est examinée indépendamment.

L’objectif est évidemment d’aider l’élève à identifier les points sur lesquels les notions ne sont pas acquises ou pas suffisamment maîtrisées.

… qui se transforme quand même en note

La difficulté est que pour remplir les bulletins trimestriels, il faut une note chiffrée. Cela tombe à pic : le logiciel utilisé propose de convertir automatiquement les compétences évaluées en notes.

J’ai donc fait le choix, pour cette année de bascule :

  • d’utiliser cette fonction de conversion niveaux de compétences vers note chiffrée ;
  • de ne pas intervenir sur les notes obtenues et de ne même pas les regarder (mon objectif étant de me détacher de la note pour regarder uniquement les compétences) ;
  • de ne pas indiquer la note sur la copie ; les élèves peuvent en prendre connaissance en regardant directement depuis leur espace utilisateur sur le logiciel que nous utilisons.

Bilan de l’opération

Je suis mitigé. La création de grilles de compétences est un vrai apport pour mieux fixer mes objectifs d’apprentissage. Et de toute évidence, c’est un vrai bénéfice pour expliciter les critères d’évaluation. Mais les élèves sont encore très attachés à leurs notes, et j’ai l’impression que l’évaluation des compétences est encore plus subjective qu’une note chiffrée. Sans compter le véritable marasme pour choisir, sur un exercice donné, quelle(s) compétence(s) évaluer ! C’est parfois très difficile car de nombreux exercices peuvent être abordés avec plusieurs stratégies différentes et cibler certaines compétences à évaluer enferme l’élève dans un attendu qui me pose réellement problème.

Je n’ai pas eu l’impression que les élèves aient davantage travaillé qu’avec une évaluation chiffrée ; mais ils ne travaillaient pas moins non plus…

Du point de vue de l’efficacité des corrections de copies, le résultat est sans appel : corriger en évaluant les compétences est nettement plus rapide et transmet beaucoup plus d’informations à l’élève. En effet, ce qui en évaluation chiffrée doit faire l’objet d’un commentaire écrit (par exemple « Les règles de priorités des opérations ne sont pas acquises ») devient simplement un niveau de maîtrise fragile ou insuffisant sur l’item considéré. Cela permet de gagner du temps et de la précision, et donc d’annoter les copies avec des commentaires plus généraux en termes de méthodes, de progrès observés, etc.

Autre aspect, qui devient essentiel en ces temps de catastrophe écologique : les évaluations par compétences, ça consomme du papier. Beaucoup de papier. Et pour cause : chaque évaluation doit être accompagnée d’un tableau imprimé avec les compétences évaluées.

En fin de compte, je suis partagé sur les bénéfices de cette modalité d’évaluation. Comme c’était la première année, je reconduis pour 2021-2022, en essayant de tirer des enseignements de cette première année de test.

Et en 2021-2022 ?

Je vais reconduire ce même mode d’évaluation, en essayant de le rendre plus efficace. Aussi parce que je me dis qu’une seule année de pratique, ce n’est pas suffisant pour se faire une vraie idée.

La taille de la grille de compétences

Il y a des adaptations à faire, et c’est là que je me retrouve bloqué. La première, c’est que la grille de compétences est longue. Vraiment très longue : plus de 70 items en troisième, et plus de 50 en cinquième. C’est donc une grosse usine à gaz. Le problème est que je n’arrive pas à réduire cette grille ; lorsque j’essaye de regrouper des items, ou d’en simplifier certains, je m’aperçois que j’en ai besoin.

Pour celles et ceux que cela intéresserait, voici ma grille de compétences (c’est un tableur).

Donc il est difficile de réduire la grille. Sauf que cela a des conséquences bizarres, par exemple avec certaines compétences qui ne sont évaluées qu’une fois ou deux dans l’année, et d’autres qui sont évaluées plusieurs fois par mois (par exemple, la compétence « Justifier ses réponses »).

Comment évaluer les exercices ouverts ?

Une autre question se pose, avec certains exercices qui peuvent être résolus de multiples façons différentes. Lorsque la grille de compétences est distribuée, elle cible les compétences évaluées. Si une production d’élève propose une solution différente, mais valide, la compétence ne sera pas réalisée. Pourtant, l’élève aura sans nul doute réussi l’exercice, en mettant en œuvre des raisonnements originaux, en faisant preuve d’initiative : bref, exactement ce que l’on attend en mathématiques.

Voilà donc un effet pervers étrange : l’élève faisant preuve d’originalité se retrouverait pénalisé parce que les compétences évaluées ont un effet « carcan » pour le moins détestable ! À l’inverse, avec une évaluation chiffrée, l’élève qui proposerait une solution originale aurait l’essentiel des points à l’exercice, et on peut annoter la copie pour apporter un éclairage sur la méthode attendue.

Or, il s’avère que je donne beaucoup d’exercices ouverts à mes élèves. Vraiment beaucoup. Et pendant toute l’année 2020-2021, cela a été une difficulté. Je pense avoir une idée de solution, mais qui n’est pas satisfaisante non plus…

Mélanger évaluations par compétences et évaluations chiffrées

Pour les petits exercices en classe, les devoirs maison et les interrogations de leçon, c’est facile : on évalue toujours une, deux ou trois compétences au maximum donc le choix des items évalués ne pose pas de problème.

Et c’est très favorable à la progression des élèves, qui identifient plus facilement leurs points faibles et leurs réussite.

Pour ce que j’appelle les contrôles (dans le jargon, on dit évaluation sommative), c’est plus difficile car la liste de compétences peut être longue, une compétence peut être évaluée sur plusieurs exercices différents, et les compétences peuvent s’entrechoquer. J’envisage donc de noter de façon chiffrée pour les évaluations, et par compétences pour le reste…

Pas génial, loin de là, mais cela se défend :

  • pendant la phase d’apprentissage, j’évalue les compétences pour que les élèves sachent où ils en sont, et moi aussi ;
  • lors de l’évaluation sommative, c’est l’heure du bilan : on fait la synthèse et on regarde où l’on en est ;
  • le brevet est lui-même évalué de manière chiffrée.

Pour le niveau cinquième, rester sur du « tout compétences » est viable et je vais essayer de m’y tenir. Mais en troisième, je pense que le mélange compétences/chiffrée est un bon équilibre. Je vais quand même continuer à indiquer les compétences évaluées à titre informatif.

Pourquoi ce n’est pas génial

Déjà, mélanger les modes d’évaluation, cela ne peut pas être parfait. Ensuite, il faut savoir que pour le brevet, seules les évaluations de compétences comptent pour ce que l’on appelle le bilan de fin de cycle. Cela voudrait dire que les évaluations sommatives seraient amenées à ne pas compter pour le brevet, ce qui est absurde…

Il faut encore que je réfléchisse à ce point. Mais l’évaluation est un sujet épineux, et je dois l’admettre, plutôt pénible. Je passe un temps considérable à me demander comment évaluer, si telle évaluation est pertinente, comment diminuer la part de subjectivité, comment lutter contre la constante macabre. Cela fait beaucoup de temps dépensé, beaucoup d’énergie, de débats entre collègues et de nœuds dans le cerveau… Tout ça pour au final évaluer des travaux. Alors que tout ce temps aurait pu être utilisé pour concevoir des exercices, inventer des activités ou étudier la didactique.

Comme si les profs (et les élèves !) avaient sans arrêt besoin d’évaluations gravées dans le marbre pour connaître les points forts, les difficultés et les points faibles de leurs classes. Lorsque je suis devant mes élèves, rapidement je les connais, et il n’est pas besoin d’évaluations, chiffrées ou par compétences, pour le savoir. Et, j’en suis persuadé, les élèves aussi ont conscience de leurs réussites et de leurs échecs, il n’est pas besoin de leur mettre sous le nez sans arrêt ! Nous serions toutes et tous plus sereines et sereins avec davantage de place mis à l’intelligence, au plaisir d’apprendre à l’accumulation de savoir, plutôt qu’à des questionnements, doutes et même parfois inquiétudes, relatifs à l’évaluation.

La fin du cartable en ligne

Les espaces numériques de travail

Le cartable en ligne (CEL) est un espace numérique de travail (ENT). Dans les établissements scolaires, il est en général fourni par la collectivité locale de rattachement (département pour les collèges, région pour les lycées). L’ENT consiste en un ensemble d’outils numériques et de logiciels, pour accompagner la scolarité des élèves et fournir des supports de travail aux enseignants.

Les outils proposés

Dans le Val-De-Marne, département où se situe mon collège, l’ENT est le cartable en ligne. Il y a vraiment beaucoup d’outils proposés, par exemple :

  • calendriers partagés ;
  • des logiciels de cartes mentales ;
  • des CMS pour créer des sites Internet ;
  • des outils pour créer des activités numériques à destination des élèves ;
  • de quoi rédiger des documents partagés ;
  • une instance Moodle ;
  • un webmail ;
  • etc.

Il y a aussi (et surtout, en ce qui me concerne) une instance ownCloud. C’est le seul service que j’utilise vraiment de façon intensive pour synchroniser mes documents. En effet, je prépare presque toujours mes supports pédagogiques à domicile. Puis je les utilise en lecture ou vidéoprojection en classe.

Et pourtant…

Il y a beaucoup de choses dans le CEL et c’est vraiment très riche ! Malheureusement, il faut bien le reconnaître, c’est très peu utilisés par les élèves et par les enseignants (moi y compris, je ne blâme personne !). Je ne me lancerai pas dans une analyse des raisons, mais les faits sont là : le CEL est un échec. Le département a donc décidé, à compter de février 2021, de procéder à l’« extinction du cartable en ligne ». Cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large de revoir la façon dont est gérée l’informatique dans les établissements scolaires, avec notamment l’externalisation des serveurs (qui jusqu’à maintenant sont administrés à l’intérieur de l’établissement).

En février, que va-t-il se passer ?

La volonté du département d’amorcer une réflexion sur l’informatique et le numérique dans les collèges est louable, mais je ne suis pas certain que procéder à des changements aussi importants en plein milieu d’année scolaire (surtout 2020-2021 !) soit très judicieux. Parce que mine de rien, l’arrêt du cartable en ligne va coïncider avec le formatage des ordinateurs avec perte des données, locales ou en réseau. Et comme il n’est pas possible d’utiliser des clés USB pour des raisons de sécurité, une grosse catastrophe en termes de pertes des documents est à craindre.

Remplacer ownCloud ?

En ce qui me concerne, cela soulève tout de même une difficulté. Comme je l’ai écrit, je me sers intensivement de l’instance ownCloud pour synchroniser tous (oui, tous) mes documents de travail. D’ici février, je vais donc devoir trouver une solution de repli, et à l’heure actuelle, je n’ai pas d’idée satisfaisante.

Le fonctionnement par clés USB interposées n’est pas gérable au quotidien, j’ai déjà essayé. Et de toute façon, on ne peut pas brancher de clés USB sur les ordinateurs dans le collège. La seule solution qui corresponde à mes habitudes de travail est un cloud quelconque. Et tant qu’à faire, j’aimerais mieux éviter Google, Dropbox et leurs amis.

Donc voilà, rapidement il va me falloir une solution pour synchroniser mes documents. Je vais peut-être utiliser la « prime d’équipement informatique » que le ministère a inventée, afin de payer un hébergement quelque part, puisque c’est fait pour. Mais cette prime n’a décidément de prime que le nom, il s’agit plutôt d’une indemnité.

Le travail amorcé par le département pour revitaliser l’informatique et le numérique dans les collèges ne peut pas être critiqué sur le principe. Mais il ne pourra porter ses fruits qui si des enseignements sont tirés de l’échec du CEL. En l’absence d’une analyse poussée et proche du terrain pour en comprendre les raisons, un changements d’outils ne pourra pas à lui seul améliorer les choses.

Ma première carte mentale !

Le mois d’août est bien avancé, la rentrée approche. Et quelle rentrée ! L’épidémie de Covid-19 rend les choses éminemment difficiles à anticiper. Mais ce n’est pas l’objet de cet article.

Malgré les incertitudes, j’ai pris le parti de préparer mes séquences et mes séances comme d’habitude, en faisant les aménagements qu’il faut au fur et à mesure, selon l’évolution de la situation. Donc, je prépare mes cours. Il n’est évidemment pas question de tout reprendre à partir de rien : sans en avoir l’air, j’entame ma quatrième année en tant que prof. Je commence à avoir un ensemble d’activités et d’exercices que j’aime bien et que je garde d’une année sur l’autre. Ce qui n’empêche pas d’apporter des changements, parfois importants, lorsque certaines choses que j’ai faites les années passées ne m’ont pas plu. Et de fait, j’ai déjà commencé à reprendre mes cours depuis déjà deux semaines, à raison de 4 à 6 h par jour (quand même !).

Voici un exemple de support que je vais changer cette année, au niveau 5e.

Les angles en 5e

Au programme de l’année de cinquième, on trouve les angles. Plus précisément, il est attendu des élèves qu’ils sachent, en fin d’année :

  • nommer et mesurer correctement des angles avec le rapporteur ;
  • calculer des mesures d’angles dans un triangle ;
  • reconnaître les angles aigus, obtus, droits, plats ainsi que les angles complémentaires et supplémentaires ;
  • utiliser les angles alternes-internes et correspondants à bon escient.

Naturellement, il n’est pas question de tout faire en une seule séquence, cela ferait trop. Pour la séquence qui nous intéresse, je vais aborder les items 1 et 4.

La séquence suit un déroulé tout à fait classique : activité d’introduction sur les angles alternes-internes, cours, exercices. Je ne prévois pas d’activité spécifique pour nommer les angles, nous l’aborderons plutôt de manière perlée pendant toute la séquence, et notamment pendant les questions flash.

Et donc, la nouveauté ?

Comment c’était avant

J’ai déjà fait une séquence très similaire l’année dernière au niveau 5e, j’ai donc repris beaucoup de choses à l’identique, car cela avait bien fonctionné. Enfin, sauf la partie cours (la « trace écrite » si on veut faire du jargon). Il y avait beaucoup de vocabulaire, donc beaucoup de texte ; et finalement, c’était verbeux et pas tellement clair.

En feuilletant des manuels, j’ai vu qu’à la fin de certaines séquences, des cartes mentales sont proposées. J’ai toujours été assez frileux avec ce genre de supports, mais plusieurs de mes collègues (en histoire-géographie, notamment) les utilisent beaucoup et les retours des élèves sont plutôt positifs.

Puisque la leçon que je proposais sur les angles ne me plaît pas trop, c’est peut-être l’occasion de tester autre chose… Donc je me lance ! Pas question de changer le contenu, seulement la forme. Je reprends donc le cours, et je sors un papier de brouillon pour essayer de synthétiser et de regarder plus en détails les liens entre les sections. Le plan du cours est le suivant :

  1. Vocabulaire
    1. Nommer les angles
    2. Angles aigus, angles obtus
    3. Angles alternes-internes, angles correspondants
  2. Droites parallèles, droites sécantes
    1. Angles correspondants et droites parallèles
    2. Angles alternes-internes et droites parallèles

Avec un examen un peu attentif de ce plan, on voit tout de suite que les idées ne sont pas très bien reliées entre elles, et que les connexions logiques entre les sections ne sont pas faciles à voir.

Comment ça va être cette année

Je vais donc proposer aux élèves une présentation totalement différente de la trace écrite, qui prendra la forme d’une carte mentale distribuée. La voici en exclusivité :

Carte mentale pour la trace écrite de la séquence « Les angles (1) »

Voilà, j’espère que c’est lisible et suffisamment clair. C’est en tout cas très synthétique et résume l’essentiel. J’imprimerai en grand le document pour le laisser collé au mur dans ma salle, et les élèves en auront un exemplaire papier à conserver, qui tiendra lieu de cours.

Bémol : en temps normal, j’écris le cours au tableau et les élèves doivent le recopier. J’y tiens beaucoup, c’est à mon avis une étape importante pour comprendre et mémoriser, d’autant plus que cette phase d’écriture me permet souvent de canaliser la classe et d’identifier les points qui n’ont pas été compris.

Il faut donc que je trouve une alternative à la recopie, puisque la carte sera distribuée. Et là encore, je vais m’inspirer de ce que font les collègues (je les en remercie, même s’ils ne le savent pas 😀 ) : je vais distribuer la carte mentale vide avec simplement les items à remplir, un peu comme on pourrait donner un fond de carte à compléter en géographie :

Carte mentale vide, à compléter

Je vais également donner des petites cartes, avec tous les éléments possibles, dissociés les uns des autres. Et ça sera aux élèves de les assembler afin qu’ils construisent la carte :

Les éléments de la carte mentale, à assembler convenablement

Pfiouuu !

Voilà l’idée générale. Je sors très largement de ma zone de confort, ce n’est pas du tout un support auquel je suis habitué, donc j’ai hâte de voir ce que cela va donner.

Mine de rien, cela m’a pris plusieurs heures pour en arriver à cela ; sans doute parce que c’est très nouveau pour moi, donc j’ai dû lire des ressources, réfléchir beaucoup. La séquence aura lieu normalement un peu avant les vacances de la Toussaint ; nous verrons à ce moment-là ce que ça va donner.