2022 en Covidland

C’est la rentrée, bonne année, meilleurs vœux, tout ça. Mais cette année, la reprise a une saveur amère d’inquiétude, de colère et de perte de repères. L’heure n’est pas aux embrassades, aux vœux de « bonne santé » ou de divers accomplissements d’objectifs personnels que l’on espère évidemment pour nos élèves.

C’est la rentrée

La Covid-19 n’en finit pas de perturber les établissements scolaires. Mais là, on sent bien que la bombe à retardement va nous exploser entre les mains. Au regard des informations qui parviennent de-ci de-là, dans mon collège, ça a l’air moins pire qu’ailleurs — pour l’instant.

Rien que lundi 3 janvier, soit le jour de la rentrée, une trentaine de situations ont été gérées par la direction, qui de toute évidence n’a le temps de faire que ça de la journée. Et les élèves semblent tomber comme des mouches les unes et les uns après les autres.

Le protocole sanitaire a été publié dimanche 2 janvier à 16 h 30 dans un article de presse payante. Au dire du ministre, c’est « pour être au plus près de la réalité ». Mais concrètement, la seule conséquence est que… les règles ne sont purement et simplement pas encore appliquées faute d’avoir eu le temps de les mettre en place !

Histoire de fignoler le tableau, un malheureux concours de circonstances fait que la demi-pension (cantine) est désorganisée par le départ de la cheffe de cuisine, qui a obtenu sa mutation.

Côté adultes, c’est encore gérable : pas trop de profs absentes ou absents, mais la vie scolaire est très impactée.

Gestes barrières

Évidemment, le masque est obligatoire pour tous et toutes, partout, tout le temps. Mais avec un public d’enfants, impossible à faire respecter en continu. Dans mes classes, j’ai eu entre hier et aujourd’hui, environ 100 élèves et j’ai noté plus de 80 occurrences de non port de masque ou de port non conforme.

Et pour les adultes, on se contente des masques en tissu dont l’utilité est sujette à caution… quand ils ne sont pas empoisonnés. Selon Olivier Veran, ministre de les solidarités et de la santé, « des capteurs de CO2, il y en a pas mal ». C’est un pur et simple mensonge : aucun des établissements avec qui j’ai pu discuter n’est équipé.

Alors on fait cours avec les fenêtres ouvertes. Toute la journée. Là, il fait assez doux en région parisienne. Mais si les températures retombent, prétendre que l’institution et ses représentants, en particulier le ministre de l’Éducation nationale, veillent à l’ouverture des écoles en considérant avant tout « la santé et la sécurité des personnels et des élèves » ne sera qu’un mensonge de plus.

Et ça commence à faire beaucoup. Un jour, la corde va lâcher et la rancœur accumulée aura l’effet d’une bombe… un peu comme la bombe épidémique qui est en train de nous exploser à la figure. On entend partout parler de mépris institutionnel envers les personnels. Et si j’y étais assez imperméable jusqu’à récemment, c’est de moins en moins le cas. D’un autre côté, comment pourrait-il en être autrement quand la personne qui représente mon employeur passe son temps dans les médias à mentir, à nous ignorer et à mettre notre santé en danger ?

Et pendant ce temps, qui se préoccupe de pédagogie ?

L’incident grave de trop

Attention — Cet article est le témoignage tout frais d’une situation vécue aujourd’hui, pendant un cours. La lecture peut être difficile par moments, et je cite fidèlement des propos tenus par un élève, potentiellement choquants de grossièreté.

Enseigner en REP, zone sensible, zone prévention violence, c’est parfois difficile. La situation sanitaire ne simplifie rien, de même que les dramatiques événements récents ayant eu lieu à Vitry-Sur-Seine dans un collège tout près de celui où j’exerce.

Un peu de contexte

Il s’est passé des choses graves, dans mon collège aussi. Avant les vacances, un collègue enseignant a été agressé par un élève. Aucune séquelle physique, mais tout de même un gros choc et 10 jours d’arrêt de travail. Le chef d’établissement a également été agressé par le même élève, et a été arrêté une semaine, autant sous le choc. Depuis, le même collègue enseignant a été de nouveau agressé deux fois.

La violence fait désormais partie du paysage quotidien, au collège. Et elle est protéiforme : verbale, physique, symbolique aussi. Le mépris affiché par l’institution ne saurait être relaté ici sans que je risque de sortir de mon devoir de discrétion.

Et aujourd’hui, il s’est encore passé quelque-chose de grave. Moins grave que le reste, certes. Mais tout de même. Et cette fois, c’était à mon tour.

Un élève difficile, dans une classe difficile

Il s’agit d’une « classe difficile », comme on dit chez nous. L’ambiance y est très tendue, l’agressivité entre les élèves et envers les adultes y est omniprésente. Il est très difficile de trouver une place apaisée pour les apprentissages. Une heure de cours est littéralement épuisante.

Des relations humaines compliquées

Et dans cette classe difficile, il y a un élève difficile. Appelons-le Julien (ce n’est évidemment pas son vrai prénom). Il est très colérique, explosif même. Les relations avec les pairs sont très compliquées, car les autres élèves ne le comprennent pas. Il crie, fait du bruit, se met en colère ou boude de façon totalement imprévisible. Julien ne réussit pas à rester calme, il s’agite sans cesse, parle à voix haute sans parvenir à se canaliser. Il interpelle et invective ses camarades et fait preuve d’agressivité. Il les injurie, souvent. Leur crie dessus et les montre du doigt en leur faisant des reproches. Parfois fondés, car vraiment, les autres élèves ne comprennent pas comment Julien fonctionne.

Ses relations avec les adultes sont également très tendues. Car Julien se sent toujours victime d’injustice, pense que les adultes lui en veulent. Et il faut se rendre à l’évidence : Julien ne respecte pas les règles de la classe, et pas non plus les règles de vie dans une collectivité. Il est donc très souvent rappelé à l’ordre, puni (par les enseignants ou les membres de la vie scolaire), voire sanctionné (décision du chef d’établissement ou de son adjoint).

La scolarité, les apprentissages, les cours

Scolairement, Julien est en échec. Ses fournitures de travail sont dans un état déplorable, on devine qu’un ou une psychologue aurait quelque-chose à dire à ce sujet. Julien ne participe pas aux activités données en cours, ne recopie pas ses leçons. Et donc n’est pas en réussite, ce qui le met en colère, voire le révulse. Il en veut aux adultes, il en veut à l’institution scolaire. Peut-être a-t-il raison, je ne sais pas.

Fréquemment, Julien est exclu de cours pour des propos outranciers, des perturbations incessantes et des attitudes provocantes qu’il est très difficile de gérer. Et bien sûr, Julien ne respecte pas les gestes barrières en ces temps épidémiques. Il n’est pas le seul élève dans ce cas, certes. Mais il s’avère que Julien parle sans arrêt à très haute voix et est toujours retourné vers ses camarades pour les invectiver. Sans masque. Parfois, et même souvent, il tousse, éternue, se racle la gorge sans mouchoir.

Et aujourd’hui, la fois de trop

Julien avait cours de mathématiques avec moi, ce matin. Dès le couloir, il était déjà agité et grossier (depuis ma salle, j’entendais « Bâtard ! » répété plusieurs fois). Julien, avec ses camarades, entre en classe.

Puis il me demande, ou plutôt il exige, la permission d’aller à l’infirmerie. Julien n’a pas l’air moins en forme que d’habitude, donc je refuse. Il insiste, et je refuse à nouveau.

Mais cette fois, il est sorti de ses gonds encore plus que d’usage. Et les injures sont sorties : « Vous êtes un ouf. De toute façon, vous vous en foutez de la santé de vos élèves ! Vous pensez qu’à votre salaire ! » Puis diverses variations autour de « Allez vous faire foutre ! », et même « Va te faire enculer ! ». Avec l’habitude, j’ai appris à ne rien prendre personnellement, et à ne pas trop hausser la voix dans ce genre de cas.

Forcément, je dois l’exclure de cours. Mais Julien refuse de quitter la salle. « Je m’en bats les steaks, vous êtes un ouf ! » Il finit par se lever pour sortir, puis change d’avis et se rassoit. Puis il met ses pieds sur la chaise à côté de la sienne, pour pouvoir s’allonger sur son manteau. « J’en n’ai rien à foutre, vous êtes un ouf ! Ça me casse les couilles ! »

Je demande à une élève de la classe de descendre chercher un ou une autre adulte pour faire sortir Julien de la classe. Quelques minutes après, un adulte arrive et nous parvenons à persuader Julien de quitter le cours. En partant, il met un violent coup de pied dans la poubelle, renverse son contenu au sol, refuse de le ramasser. Puis il a quitté la salle en continuant à proférer des injures.

Et ensuite ?

La séance s’est terminée, aussi bien que possible. Mais la situation est vraiment compliquée. Un peu plus tard dans la journée, Julien développe des symptômes de type Covid. Et il est décelé comme étant cas contact.

Ayant passé la matinée à hurler sans porter le masque, il y a là de quoi être préoccupé. Et moi, j’ai refusé de le laisser aller à l’infirmerie. Ce soir, je vais aller me coucher avec mes doutes et mes craintes. Sans pouvoir compter sur l’institution pour me soutenir.

Il m’empêche, rien ne peut excuser qu’un ou une élève tienne de tels propos, dans de telles proportions. Et c’est récurrent chez Julien. Avec toute la peine du monde, avec mes doutes, j’ai donc demandé à mon chef d’établissement de convoquer un conseil de discipline. Je ne sais pas, à l’heure actuelle, quelle suite a être donnée à cette demande.

Un peu d’optimisme, tout de même !

Je ne souhaite pas tomber dans la caricature ! La situation décrite ici est extrême. La plupart de nos élèves, même si les difficultés sont réelles, n’ont pas ces comportements. On leur enseigne des choses, de notre mieux. Et ça avance.

Et il y a des supers projets ! L’atelier MATh.en.JEANS est une belle réussite, le concours d’énigmes proposées à l’occasion de la semaine des mathématiques est encore un franc succès. Et nous avons eu près de 100 participations pour le concours Kangourou, ouvert à l’ensemble des élèves du collège sur la base du volontariat. Et ce projet tutorat, qui nous permet de rattraper un par un nos élèves en décrochage scolaire, une vraie merveille ! Même en REP, zone sensible, zone prévention violence, on arrive à faire des belles choses.

Mais pour que cela continue, il va falloir que l’école se donne les moyens de ses ambitions. On ne peut pas enseigner sans adultes pour encadrer, surveiller, instruire, orienter, soigner parfois.

Et les « femmes de ménage », elles sont combien ?

Article court : simple retranscription d’une brève discussion avec deux élèves de 3e. Le contexte : les cours on repris lundi dans le marasme le plus total, avec un protocole sanitaire qui n’a de « renforcé » que le nom.

Alors dans un couloir, deux élèves se questionnent sur le nettoyage des bâtiments en temps d’épidémie. Je suis à côté et on engage la discussion.

« Je vous entends discuter de l’entretien du collège. Est-ce que vous savez ce qu’il y a à faire en temps normal ?
— Il faut laver par terre dans les salles, et aussi essuyer les tableaux.
— Vous êtes sûres que c’est tout ?
— Euh, ben oui… Ah non, il y a les couloirs aussi. Et la salle des profs, le gymnase, le CDI.
— Et aussi les toilettes », ajoute la deuxième élève. « Monsieur, je vous jure c’est archi sale dans les toilettes.
— J’en ai conscience, les filles. Mais vous savez, il y a aussi les bureaux de la vie scolaire et de l’administration, les tables à nettoyer régulièrement avec du produit, passer le balai dans les escaliers. Et en ce moment, avec l’épidémie, il faudrait en plus désinfecter toutes vos tables, les poignées de portes, la cantine.
— Ah oui c’est vrai ! Mais les femmes de ménage, elles ont le temps de faire tout ça en une journée ?!
— Elles n’ont pas toute la journée, parce que de 12 h à 15 h 30, elles sont dans la cantine pour servir les repas et ensuite nettoyer vos tables, vider les poubelles, laver le sol, etc. Vous savez, elles commencent à 6 h 30 le matin et à 8 h les cours commencent donc il faut que les salles soient propres.
— Mais elles sont combien pour faire tout ça ?! Monsieur, c’est impossible en une seule journée, elles doivent être au moins 25 ou 30 !
— Ah non, elles ne sont pas 25…
— Alors combien ?
— Normalement, elles sont 5. Mais actuellement elles ne sont que 4 parce qu’une d’entre elles est malade. Et à partir du premier janvier 2020, elles sont 4 définitivement parce qu’il y en a une qui part à la retraite et qui ne sera pas remplacée.
— Ouais mais c’est chaud ! Comment elles font pour tout nettoyer et respecter les règles avec le Covid ? »

On se pose tous et toutes la question…

Début d’année… perturbant

Quelle rentrée ! C’est le moins qu’on puisse dire. Aujourd’hui, billet court. Et je vais râler, parce que cette fois c’est clair : je suis en colère.

À la rentrée, encore deux postes d’enseignants non pourvus : un poste en espagnol et un en mathématiques. Les deux collègues sont arrivés cette semaine. Et comment se passe l’arrivée des contractuels ?

« Bonjour, je suis le chef d’établissement : voici votre salle, vos clés, votre code pour photocopier. Et aussi votre emploi du temps, vos listes d’élèves. Votre premier cours a lieu dans 30 minutes. »

Comment l’Éducation nationale peut-elle accepter autant de maltraitance vis-à-vis de ses personnels ? Comment peut-on accepter de laisser les élèves pris en charge avec un tel niveau d’improvisation ?

Et ce n’est qu’un échantillon.

  • Depuis la rentrée, il n’y a pas de secrétariat à la direction pour cause de départ de l’ancienne secrétaire, non remplacé pour le moment. Qui saisit les dossiers d’inscription des élèves ? Qui gère le suivi administratif des familles ? Circulez, y a rien à voir.
  • Une agente du service général (personnelle d’entretien, donc) est en arrêt de travail jusqu’au 30 septembre, sans remplacement possible. Oui, il y a une épidémie, mais circulez, y a rien à voir.
  • L’ARS rappelle que le port du masque est obligatoire pour tous, partout, tout le temps. Les salles sont étouffantes, impossibles à ventiler, et les élèves sont tous serrés ? Nos élèves, parfois, ont le même masque chirurgical depuis 3 jours ? Circulez, y a rien à voir.
  • L’ARS encore. Puisque tout le monde porte le masque tout le temps (sauf en cours d’EPS — éducation physique et sportive), « le risque de fermeture de classe est minime. Des personnes ne pourront être considérées comme cas contact uniquement s’il y a eu un cours d’EPS dans les 48 h qui ont précédé un test positif et s’il y a eu des contacts prolongés ». Ces gens sont des Tartuffe. Mais circulez, y a rien à voir.
  • Le port du masque est quasiment impossible à faire respecter par tous les élèves pendant toute la journée : c’est une honte et un scandale d’imposer cela à des enfants de 11 à 14 ans, et de prétendre que ce soit facile. Rien n’a été fait pour accompagner les établissements, rien que de la poudre aux yeux et des gesticulations à la télé pour sauver les apparences. Cirulez, y a rien à voir.
  • Contradiction encore : une collègue CPE (conseillère principale d’éducation, un poste-clé dans la gestion des élèves) a été absente toute la semaine car elle a été en contact avec un cas positif… mais à l’extérieur de l’établissement. Tout est normal, circulez y a rien à voir.
  • Les sorties pédagogiques et voyages scolaires sont annulés jusqu’à nouvel ordre. Par contre, s’il y a des cas positifs dans l’établissement, rien ne se passe (cf. mon point précédent). Mais circulez, y a rien à voir.

Voilà pour la « rentrée normale » tant vantée par le ministère. Alors voilà, c’est un billet d’humeur. Mais je suis en colère, je suis inquiet et je me sens humilié, insulté et méprisé par le discours de l’institution.

Heureusement que l’on a encore des élèves pour parler un peu d’enseignement et de pédagogie, une fois de temps en temps.